Une première expérience, entre apprentissage et transmission
En 2019, j’ai eu la chance de m’essayer à la distillation. Après un bref échange avec un collègue et un ami, nous avons décidé de nous lancer dans une campagne. Apprendre avec quelqu’un qui sait pour ensuite expérimenter en autonomie : une méthode pédagogique par l’expérimentation que j’affectionne particulièrement.
Beaucoup de discussions, un peu de théorie et surtout de la pratique. Cette expérience, que j’ai choisi de documenter en images, s’inscrit pour moi dans une démarche de storytelling photographique : raconter non seulement un geste, mais aussi une histoire.

Petite histoire de la distillation en France et son récit
Au-delà de l’aspect purement réglementaire, il nous a fallu plonger dans la technique, en cherchant à compiler et à synthétiser les savoirs et savoir-faire des bouilleurs de cru et autres herboristes (professionnel·les des plantes aromatiques et médicinales).
Un parcours épique, allant des grimoires aux témoignages empiriques et aux croyances plus ou moins fondées des anciens de nos villages. Le hasard des rencontres nous a mis sur la route de l’association Vergers Vivants, qui a travaillé sur le sujet et met à disposition des documents de vulgarisation :
– la mise en fermentation
– la distillation traditionnelle à 2 passes
Un échange avec l’animateur de l’époque, lui-même distillateur amateur, nous a été très bénéfique.

Une temporalité qui remet les pendules à l’heure
Quand j’ai parlé du projet en famille, une de mes tantes m’a proposé de récupérer les fruits de son verger. Une centaine de kilos de quetsches et presque autant de mirabelles.
À ce moment-là, je pensais le processus simple : récolte, mise en fût pour fermentation alcoolique, puis distillation, le tout en deux ou trois semaines. J’étais loin d’imaginer qu’il faudrait bien plus de temps, de patience, un équipement hygiénique rigoureux et des fûts étanches avec barboteur.
Ces quelques mois de surveillance ont été utiles :
Apprendre à gérer mon impatience.
Approfondir la théorie.
Rencontrer des passionnés.
Organiser la campagne de distillation sereinement.

La campagne de distillation : deux jours intenses et de la patience
Jour 1 – Observer et apprendre
Aux côtés de mon ami, habitué à distiller la gentiane récoltée dans ses champs, j’ai pu observer chaque geste : préparation, extraction, nettoyage. Les rendements sont faibles (une dizaine de litres seulement), mais l’expérience, elle, fut immense.
Jour 2 – Nos premières passes
Avec un autre novice, nous avons distillé près de 200 litres de prunes et mirabelles. Deux premières passes de 100 litres chacune, rendement de 10 à 12 %, puis une deuxième passe de l’ensemble recueilli. Résultat : 12 litres à 52°, soit 6,24 litres d’alcool pur.
Jour 3 – La maturation et l’attente
Le précieux liquide a ensuite été placé dans des dame-jeannes pour une longue maturation. Ce n’est qu’en décembre, juste avant les fêtes, que j’ai pris le temps d’embouteiller. Après réduction à environ 45°, j’ai obtenu 14 litres d’eau-de-vie prêts à être partagés.
Pourquoi documenter cette expérience
J’ai choisi de raconter cette campagne de distillation, non pas seulement pour en garder une trace personnelle, mais aussi pour mettre en lumière un savoir-faire qui tend à disparaître et qui fait partie de notre patrimoine immatériel. La distillation, autrefois courante dans les campagnes, n’est aujourd’hui plus qu’un souvenir pour beaucoup. La documenter, c’est contribuer à transmettre un geste, une atmosphère, une temporalité. C’est aussi partager la beauté de ce processus lent, exigeant, qui relie les générations et les territoires. Enfin, c’est un moyen de croiser mon regard de photographe avec une pratique manuelle et concrète, et d’en faire un récit à la fois visuel, narratif et sensible.

Un héritage, des souvenirs et le plaisir du partage
Au-delà des litres récoltés, l’expérience fut d’abord humaine. Trois choses en ressortent pour moi :
Le plaisir d’apprendre, d’expérimenter pas à pas.
La joie de partager avec mes proches un produit, en occurrence une boisson, que j’ai moi-même transformée.
Le lien intime avec mon histoire de famille maternel.
Je pense notamment cette histoire racontée par mes oncles à propos du grand-père. Lors des banquets de famille, il posait toujours un petit tonnelet sur la table, censé contenir de la « goutte », comme on l’appelle dans le Doubs. En réalité, il était rempli… d’eau ! Les habitués étaient au courant. Les « ratrés » (les invités occasionnels ou nouveaux venus dans la famille, en patois franc-comtois), eux, se faisaient piéger. Par politesse, ils buvaient sans rien dire, persuadés de goûter l’eau-de-vie de la famille. La véritable « goutte », quant-a-elle, circulait discrètement dans une banale bouteille, posée sans attention particulière sur la table.
Cette anecdote me rappelle que la distillation n’est pas seulement une technique. C’est une histoire de transmission, de convivialité, de mémoire. En la documentant, je ne cherche pas seulement à montrer un geste, mais à en faire un récit visuel et photographique.

Quelques gouttes de souvenirs
En expérimentant la distillation, j’ai eu le sentiment de renouer avec un petit morceau de l’histoire familiale, avec une mémoire de gestes, de convivialité et de malice. Documenter cette expérience en images m’a permis de transformer un apprentissage en récit, de lui donner une place dans la mémoire collective. C’est là que la distillation croise le storytelling photographique : capter la beauté d’un savoir-faire, mais aussi transmettre l’émotion et l’histoire qui l’accompagnent.









